Les financeurs veulent que l’argent investi dans les formations, les accompagnements et coachings ait un bénéfice immédiat et rapide pour l’entreprise ou la structure.
C’est tout à fait normal et logique. Il n’y a rien de choquant en cela. Or, investir dans la QVCT, c’est investir dans l’humain. Cela pose question car il est plus difficile de peser les bénéfices récoltés quand l’investissement porte sur l’humain. Travailler les savoir-être, les soft skills, même si cela est à la mode, laisse beaucoup de personnes perplexes, compte tenu de la difficulté à mesurer l’efficacité de telles investissements.
Et pourtant, c’est peut-être le levier le plus prometteur de croissance, s’il est bien traité et accompagné. Il est vrai que sous le vocable de QVT, nous pouvons y mettre tellement de choses que le tout et le n’importe quoi peut s’y infiltrer.
Il est donc nécessaire de définir en premier lieu clairement les objectifs visés dans la mise en place d’actions pour l’amélioration de la qualité de vie au travail.
Cela signifie savoir ce qui peut être amélioré et connaître les leviers humains qui vont engendrer des bénéfices réels dans le rendement de l’entreprise. Certains leviers humains, comme nous le verrons, permettent d’agir sur le fonctionnement de l’entreprise et d’améliorer de façon non négligeable la performance de celle-ci.
Avant cela, relevons trois biais qui faussent la perception et réduit l’intérêt d’investir dans l’humain :
Le premier biais est de penser que c’est à chaque personne de travailler sur soi et prendre soin de soi, si elle le désire. Cela induit que ce n’est pas le rôle de l’entreprise d’aller sur ce champ-là et que ce serait donner, en plus, l’impression d’être sous le joug d’une vision paternaliste envers ses employés.
Le deuxième est de croire qu’il est trop complexe d’agir dans ce domaine, que ce sont aux employés de se plier aux fonctionnements de l’entreprise. De ce fait, les efforts sont alors investis pour formater les employés à l’entreprise. Ce choix de vouloir formater les humains à la philosophie de l’entreprise, les faire entrer dans un moule et que rien ne dépasse de ce beau cadre donné en vitrine à l’extérieur est inopérant et ne résiste pas longtemps à la réalité du terrain. C’est un leurre tentant dans lequel beaucoup d’énergies sont dépensées pour un résultat très médiocre.
Le troisième est de se centrer sur les savoirs et savoir-faire qui sont des domaines plus facilement maîtrisables de fait.
Cependant, « Travailler » sur le facteur humain est peut-être même la composante la plus propice à faire la différence entre deux entreprises concurrentes. Les savoirs et savoir-faire sont partagées par tous. Il est plus facile de faire monter en compétences dans ces champs-là, car ils sont clairs et circonscrits. Il s’agit d’apprendre une nouvelle technique, savoir utiliser tel matériel, tel logiciel, etc… Et dans cette configuration, la mise en place d’une formation est suffisante pour maîtriser ce nouvel outil et nous pouvons mesurer rapidement l’efficacité de la formation.
« Travailler » sur l’humain est, en effet, plus complexe mais il rapporte davantage ; si nous osons investir dans ce champ ouvert et prometteur.
Il est nécessaire de dépasser ces trois biais pour pouvoir accéder à une certitude fondamentale qui est de croire aux potentiels inexplorés et inexploités des ressources humaines.
Toute entreprise, structure est constituée d’humains. Ces derniers constituent une ressource indéniable pour l’entreprise ou la structure.
Comme nous venons de le voir, la méfiance vis-à-vis de la complexité humaine entraîne une gestion faussée en voulant formater les humains à la philosophie de l’entreprise. Arrêtons de vouloir adapter l’humain au travail, adoptons l’attitude inverse, bien plus créatrice et féconde.
L’humain est porteur de beaucoup plus de potentialités que nous voulons souvent lui en attribuer. L’application de nouvelles formes de management comme le management bienveillant, le management collaboratif, le management horizontal rendent les entreprises plus solides, plus performantes, plus résistantes aux difficultés. De nombreuses études montrent l’impact sur le rendement des entreprises qui misent sur l’humain. Pour ceux et celles qui veulent creuser cet aspect, je renvoie à l’enquête de Paul R.Ray et Sherry Ruth Anderson dans l’émergence des Créatifs Culturels, au docteur Philippe Rodet et Yves Desjacques dans le management bienveillant, au philosophe Abdennour Bidar dans les Tisserands ou bien encore Jacques Lecomte dans les entreprises humanistes pour n’en citer que quelques-uns.
Sortons de la théorie et venons-en à la pratique en donnant quelques exemples avant de structurer les objectifs à viser et les leviers humains bénéfiques à la bonne marche de l’entreprise.
Mettre en place un accompagnement à la Qualité de Vie et Conditions de Travail, c’est permettre à tout humain exerçant dans sa structure d’être bien dans sa peau. Et quand une personne est bien dans sa peau, dans ses baskets, elle n’en sera que plus créative, productive, engagée et collaborative dans l’exercice de son travail !
Une personne bien sa peau au travail ne va pas freiner la bonne marche de son entreprise par un absentéisme important, par une démotivation, par une tendance à créer des conflits pour se venger de son mauvais traitement. Qui plus est, elle va apporter une meilleure contribution et s’engager beaucoup plus dans la réussite de l’entreprise. Cela peut sembler logique. Mais se sentir bien au travail ne se décrète pas, des conditions sont nécessaires pour favoriser cette perception et cela implique un travail constant car il ne faut pas grand-chose pour détériorer une ambiance de travail ou détruire la confiance qu’il a fallu du temps à construire. Nous savons tous combien la réussite d’une négociation commerciale, le travail d’équipe, la collaboration fluide tiennent à un savant mélange et en particulier à la qualité de la communication, de la reconnaissance et de l’empathie entre les personnes en jeu.
Prenons un exemple précis. Nous sommes tous témoins de la « fragilité » et « sensibilité » de certains services d’accueil. Par son rôle, c’est un lieu privilégié de connexion entre la structure et le monde extérieur. Il est une vitrine de la structure. Les services publics sont un bon exemple de cette carence dans le prendre soin des personnes qui doivent jouer le rôle d’intermédiaire, de tampon et qui se retrouvent souvent à jouer le rôle de fusible entre le public et la structure institutionnelle qu’elles représentent. Si nous élargissons notre propos, chaque poste, chaque fonction, chaque rôle porte son lot de tensions, de difficultés. Les prendre en compte et les réduire va entraîner un bénéfice réel et pérenne sur la qualité de production mais aussi sur la santé de chacune et chacun. Ces difficultés propres peuvent être réduites de façon directe en améliorant l’organisation, la collaboration, la coordination et la communication. C’est un premier axe possible d’intervention. Un autre axe plus transversal aidera également à alléger les difficultés propres à chaque fonction. Cet axe vise à améliorer le relationnel souvent défectueux, car laissé en friche, qui concerne les perceptions de non-reconnaissance, de manque de soutien qui affectent grandement les capacités réels de travail, fragilisent les personnes et ouvrent la porte à une détérioration progressive et assurée de la qualité de vie au travail.
Vous allez me dire qu’« être bien dans sa peau », c’est bien gentil tout cela, une entreprise ce n’est pas le monde des bisounours ; une entreprise et même une structure publique doit être rentable. C’est tout à fait juste mais la rentabilité sera de fait très défectueuse et fragilisée si les personnes qui doivent y contribuer ne sont pas bien dans leur tête, dans leur corps… Alors concrètement ?
Le but est de faciliter et participer à la bonne santé et au bien-être des personnes qui travaillent dans l’entreprise ou structure. J’emploie volontairement le terme de but et non d’objectif car cela va dépendre aussi de l’investissement de chacune et chacun dans ce processus. (voir explication ci-dessous)
Un but : cela ne dépend pas que de nous, ce n’est pas totalement sous notre contrôle. Par exemple : avoir une augmentation de salaire est un but car ce n’est pas entièrement sous votre contrôle, l’accord de votre supérieur et la validation par l’entreprise est nécessaire.
Un objectif : c’est quelque chose qui est totalement sous notre contrôle, qui est mesurable, quantifiable, réaliste, réalisable et circonscrit dans le temps, si nous parlons des objectifs SMART. Par exemple : pour reprendre l’exemple au niveau du but, je prends rendez-vous avec mon chef pour lui demander une augmentation d’ici la semaine prochaine.
Pour se diriger vers ce but, des objectifs précis peuvent être posés. Ces objectifs seront des leviers qui favoriseront un meilleur rendement de l’entreprise ou la structure.
Comme nous sommes dans le champ des savoir-être, nous touchons à des notions qui fonctionnent en système, qui sont liées les unes aux autres, s’interpénètrent et s’influencent mutuellement. De ce fait, les objectifs que nous allons aborder se recoupent et fonctionnent ensemble. C’est juste pour la clarté du propos qu’il est judicieux de détailler ces objectifs.
Voici quelques-uns des objectifs et les leviers associés :
Nous pouvons mettre un certain nombre d’objectifs sous le vocable « prendre soin de soi, de sa santé ». Nous pouvons nous appuyer ici sur la pyramide des besoins de Maslow avec ces différents étages.
Dans les besoins physiologiques, prenons l’exemple du besoin de repos pour se régénérer. La surcharge de travail, le stress excessif vient entamer ce repos nécessaire. L’absence de repos entraîne des erreurs dans l’exécution des tâches, augmente le risque d’accidents du travail, la chute des capacités intellectuelles. Mais comme nous sommes dans un système, nous pouvons nous dire que la surcharge de travail qui entame le repos est due entre autres choses à une difficulté à poser des limites. Nous sommes alors dans un besoin psychologique non respecté. Ne pas poser de limites, être corvéable à merci est préjudiciable et pour la personne et pour l’entreprise à long terme car la personne finit par craquer et devient inapte à travailler. Le manque d’assertivité est dommageable pour le salarié comme pour son entreprise. La vue à court terme est un des facteurs aggravants qui abîme la santé des individus. Il est du devoir de l’entreprise de protéger ses salariés contre ce risque. Se mettre en surcharge de travail de façon exagérée est révélateur chez la personne de sa déconnexion d’avec son corps, qui signale, en temps normal, les limites à ne pas franchir. La reconnexion au corps est un chantier à part entière pour la santé et la qualité de vie au travail. Nous voyons bien à quel point tout est lié et comment le cercle vicieux peut vite s’installer et entamer non seulement la santé de l’individu et avoir des répercussions sur l’entreprise par des erreurs, des accidents, une démotivation, un absentéisme… Dans les besoins psychologiques, les perceptions d’insuffisances ou de manques dans les champs de la reconnaissance, de la sécurité ou/et de l’appartenance engendrent des « fragilités » qui vont se répercuter directement dans le champ professionnel par des problèmes de communication qui peuvent se cristalliser dans des conflits larvés, par une démotivation et désaffection du travail, voire un absentéisme abondant. Cela marque un dysfonctionnement qui demande à être réglé et suppose la réintroduction d’une confiance et le respect des besoins humains déficitaires. Nous sommes évidemment dans les champs concernant le relationnel et la communication.
Nous pourrions aborder également tout ce qui renvoie à l’organisation qui est souvent trop chronophage et mal articulé car trop enfermé dans des process qui par leur rigidité manquent d’humanité. Trop de hiérarchisation déresponsabilise et supprime l’envie de collaborer à la vie de l’ensemble. Plus de communication et de coordination dans une dynamique participative permet de remettre en jeu la motivation de contribuer au but de son entreprise. Ce serait à développer, je renvoie aux autres articles sur les outils et solutions.
Notons en conclusion que c’est évidemment engageant car cela suppose une plus grande transparence et honnêteté dans la gestion humaine de l’entreprise ou de la structure. Faire de la qualité de vie au travail efficace présuppose l’assise sur des valeurs humaines fortes et respectées. C’est donc exigeant mais c’est le prix de la réussite assurée in fine.
Tout groupe humain, comme c’est le cas d’une entreprise, est un système. Agir pour améliorer un des éléments du système va modifier et améliorer, de fait, l’ensemble du système.
C’est être dans du « gagnant-gagnant », ce qui présuppose un engagement de part et d’autre pour avancer ensemble pour le bien de chacune et chacun, ainsi que de l’ensemble qu’est l’entreprise ou la structure.